5 Juin, 2023
Cette notice brosse le portrait d’un marchand britannique typique qui a fait fortune dans le commerce des esclaves africains, en organisant plusieurs expéditions de traite.
Lancaster, quatrième port de traite de Grande-Bretagne, connaît son plus grand essor entre 1740 et 1770 et c’est précisément entre 1738 et 1807 qu’environ 25 000 captifs africains sont transportés sur des navires de Lancaster. Dodshon Foster, négociant né à Durham, vient chercher fortune à Lancaster alors qu’il n’a qu’une vingtaine d’années. Il se marie avec Elizabeth Birket, fille de Myles Birket, éminent marchand et quaker de Lancaster, ce qui l’aide à s’établir dans les réseaux commerciaux de la ville et à s’y faire une place. Avec son associé John Heathcote, il achète en 1752 le Barlborough, un navire de 40 tonnes, et l’aménage pour le commerce des esclaves. Le navire effectue trois voyages, tous dans le cadre de la traite transatlantique, entre Lancaster, la côte ouest de l’Afrique, et Kingston, en Jamaïque. Pour les deux premiers voyages, en 1752-1753 et 1754-1755, c’est le capitaine Richard Millerson qui est engagé sous contrat et pour le dernier voyage, en 1755-1756, John Tallon est le capitaine du Barlborough et navigue avec un équipage de 14 à 18 marins.
Chaque voyage du Barlborough dure un peu moins d’un an et il transporte des marchandises vers l’Afrique, telles que des bouilloires en cuivre, des barres de fer, des perles, des chapeaux, de la poudre à canon et des vêtements fins, pour les échanger contre des captifs africains destinés à être vendus dans les Caraïbes, en échange de produits coloniaux provenant des plantations, tels que le sucre, le rhum, le tabac, le coton et l’acajou. Le premier voyage permet d’embarquer 118 Africains, dont 17 meurent au cours de la traversée, le deuxième 164, 24 périssent, tandis que le troisième voyage concernent 168 Africains, dont 24 n’atteignent pas la Jamaïque. Ces taux de mortalité d’environ 15 % ne sont pas inhabituels pour les navires de Lancaster.
Le Barlborough est vendu en 1758, Foster ayant rentabilisé son investissement. Foster est un marchand d’esclaves très prospère, l’un des commissaires du port de Lancaster entre 1754 et 1758. Il gagne suffisamment d’argent pour faire construire une maison et un entrepôt sur le Quai St. George, le principal lieu de débarquement des marchandises, juste à côté de la prestigieuse Custom House (Maison de la Douane) de Lancaster, construite en 1764.
À cette date, la plupart de ses transactions commerciales s’effectuent avec les Antilles, et consiste donc plutôt en des achats de marchandises produites par une main-d’œuvre esclave, plutôt que dans le cadre de la traite transatlantique des esclaves, même s’il continue à investir à petite échelle dans des navires de traite.
Foster et son associé Heathcote sont tous deux quakers, ce qui ne les empêche absolument pas d’être impliqués dans la traite esclavagiste, même après 1761, alors même que le Mouvement prône la destitution des quakers possédant des esclaves. L’implication de Foster dans le commerce d’esclaves africains n’a pas empêché qu’il soit enterré dans l’enceinte de la Quaker Meeting House en 1793. Son portrait a été exposé bien en évidence pendant des décennies dans le Custom House, qui abrite aujourd’hui le musée maritime de la ville. Peint par William Tate, le portrait représente Foster comme un négociant distingué, bien installé avec son chien, et le décor tropical est conçu pour illustrer son statut de négociant dont la fortune a été bâtie loin des côtes britanniques. L’artiste contemporaine Sue Flowers, dans son installation One Tenth pour l’exposition Abolished en 2007, a convoqué la biographie notoire de Foster, marchand d’esclaves, en mettant en face de sa toile une représentation en cannes à sucre d’un dixième des Africains qu’il avait mis en esclavage, façonnées comme des corps sur le pont d’un navire de traite. Dans d’autres parties du musée, elle a mis son visage derrière les barreaux de protection des fenêtres, le présentant comme un criminel des temps modernes.
Son époque n’a pas su faire le procès de ses crimes contre l’humanité, mais aujourd’hui, dans cette exposition, il est au moins dénoncé et blâmé. Dans le “Lancaster Slave Trade, Abolition and Fair Trade Trail” (Routes de la traite esclavagiste, de l’abolition et du commerce équitable de Lancaster), ouvrage publié en 2020, Foster est cité comme un exemple clé, qui montre comment de jeunes hommes font fortune dans la traite grâce à des alliances commerciales et familiales qui pallient les risques d’un commerce incertain, et comment son appartenance aux quakers n’a pas été un obstacle à son implication dans la traite malgré leur réprobation croissante au cours du 18e siècle. Dodshon Foster est un marchand d’esclaves typique de Lancaster, parmi des dizaines d’autres qui ne voient aucune honte dans ce qu’ils considèrent comme un “commerce respectable”, un commerce dont nous reconnaissons aujourd’hui qu’il est imprégné du sang de ses victimes africaines.
À propos de l’auteur
Alan Rice est professeur d’anglais et d’études américaines, directeur du Centre de recherche de l’UCLan sur la Migration, la Diaspora et l’Exil (MIDEX) et codirecteur de l’Institut de recherche sur l’Atlantique noir (IBAR) à l’Université du Central Lancashire, UCLan.
Bibliographie
Simon Newman, Freedom Seekers: Escaping from Slavery in Restoration London, London, University of London Press, 2022. Téléchargeable ici: ICI
Gretchen Gerzina, Black England, London, Hodder and Stoughton, 2022.
Alan Rice, Radical Narratives of the Black Atlantic, London, Continuum, 2003.
Alan Rice, Creating Memorials: Building Identities: The Politics of Memory in the Black Atlantic, Liverpool, University of Liverpool Press, 2010.
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