January 17, 2023
Simon Férelloc
La loi Taubira, du nom de la députée à son initiative Christiane Taubira, est une loi française pour la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. C’est la première loi au monde à exprimer cette reconnaissance, ce qui lui confère une dimension symbolique très forte. Le sujet de cette catégorisation de l’esclavage est devenu un enjeu mémoriel important autour de l’année 1998, marquant le cent-cinquantenaire de la seconde et définitive abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
Pour préparer les commémorations de 1998, le gouvernement de Lionel Jospin met en place une commission présidée par le romancier guadeloupéen Daniel Maximin. De manière inédite, cette commission n’envisage pas seulement l’abolition sous l’angle de l’ancienne métropole mais insiste également sur les résistances des populations mises en esclavage. En parallèle, un courant associatif se développe autour d’une autre perspective mémorielle. Il s’agit moins de commémorer l’abolition promulguée depuis la métropole en 1848 que de rendre hommage aux populations issues du continent africain mises en esclavage, dont beaucoup d’habitants des outremers français sont des descendants. Ce mouvement est notamment impulsé par des militants issus de la diaspora antillaise dans l’hexagone qui organisent une marche silencieuse à Paris le 23 mai 1998. Cette initiative popularise une revendication récente : la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Elle aboutit aussi à la création d’une association visant à honorer la mémoire des victimes de l’esclavage colonial : le Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98).
Cette revendication trouve un écho auprès de la députée de Guyane Christiane Taubira qui dépose une proposition de loi visant à qualifier juridiquement l’esclavage de crime contre l’humanité en décembre suivant. Elle défend sa position dans un discours parlementaire prononcé le 18 février 1999. Elle y évoque la nécessité d’une telle reconnaissance pour une réparation « symbolique », « la plus puissante de toutes » à ses yeux. La députée évoque aussi une réparation « politique » ainsi qu’une autre « morale » tout en écartant l’idée d’une « revanche » sur l’histoire. La loi est finalement votée le 10 mai 2001. Elle dispose notamment que « la traite négrière transatlantique » et « dans l’océan Indien » ainsi que l’esclavage « perpétrés à partir du XVe siècle […] contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes » constituent un crime contre l’humanité. Elle impulse également une réévaluation de la place de la traite atlantique dans les programmes d’enseignement et de recherche. Enfin, elle prévoit l’institution d’une journée nationale de commémoration de « la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions » dont la date est justement fixée au 10 mai à partir de 2006.
Contrairement à la première loi française dite « mémorielle » (la loi Gayssot du 13 juillet 1990), la portée juridique de la loi Taubira est assez réduite. Elle impulse un cadre mémoriel mais celui-ci n’est pas très contraignant pour les autorités politiques. Elle n’a pas non plus été à l’origine de procès et de condamnations pour négationnisme comme ce fut le cas de la loi Gayssot. Elle a pourtant été invoquée contre un historien français de l’esclavage, Olivier Grenouilleau qui critiquait la qualification de « crime contre l’humanité » au motif que celle-ci établissait une équivalence avec les génocides du XXe siècle et notamment celui commis contre les Juifs. Une équivalence récusée par l’auteur qui considère que les processus historiques à l’œuvre étaient de nature différente. Pour autant, la portée symbolique de la loi a été jugée très forte par l’historien Marcel Dorigny, en raison justement de cette catégorisation comme crime contre l’humanité. L’auteur considère que cette loi a projeté l’esclavage au cœur du débat public. En effet, en janvier 2004, un Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage est créé. Le président François Hollande annonce en 2016 sa mutation en Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage qui est inaugurée en 2018. Sa présidence est confiée à l’ancien Premier ministre et ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault. Enfin, le 28 février 2017, une nouvelle loi « égalité réelle outre-mer » instaure une « journée nationale en hommage aux victimes de l’esclavage colonial ». Celle-ci est fixée au 23 mai car elle légitime la perspective mémorielle défendue par le collectif antillais de 1998. Enfin, la loi a aussi impulsé une dynamique mémorielle à l’échelle internationale. En effet, le vote du 10 mai a justifié un exposé relatif à cette catégorisation de la traite et de l’esclavage présenté par Christiane Taubira à la tribune du Forum des ONG. Un forum qui s’est déroulé en parallèle de la Conférence mondiale contre le racisme tenue sous l’égide des Nations Unies à Durban en septembre 2001.
À propos de l’auteur
Simon Férelloc est étudiant en Master Recherche en Histoire à Nantes Université. Il mène actuellement des recherches sur les conséquences des politiques coloniales françaises et des mouvements révolutionnaires aux Antilles.
Bibliographie
Christiane Taubira, L’Esclavage raconté à ma fille, Paris, Points, 2016.
Myriam Cottias, « Les vingt ans de la loi Taubira. Expériences, politiques et citoyenneté : un bilan », in Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n°151, 2021. http://journals.openedition.org/chrhc/17969.
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