2 Juin, 2023
Du fait de son expansion dans les pays d’outre-mer, le Portugal joue un rôle de premier plan dans le développement de la traite esclavagiste transatlantique. Les navires portugais transportent des captifs africains à travers l’Atlantique vers l’Europe et les Amériques. Cette activité devient l’une des activités coloniales les plus lucratives. Entre 1501 et 1875, la traite portugaise a touché près de 6 millions d’Africaines et Africains.
Le développement de la présence portugaise outre-mer à partir du 15e siècle se déroule dans un contexte de transformations économiques en Europe et au Moyen-Orient : d’une part, le développement de la cartographie, de la navigation et des infrastructures commerciales, et d’autre part, les luttes politiques et sociales au sein même du Portugal. Le premier élan expansionniste est la prise de Ceuta au Maroc, puis suivent la colonisation des îles africaines de l’Atlantique, les expéditions le long de la côte africaine, les périples vers l’Inde et l’exploration du Brésil.
Cette expansion portugaise se fait en concurrence avec d’autres puissances européennes, plus précisément l’Espagne, puis dans un second temps, la France, l’Angleterre et les Provinces-Unies. Le Portugal et la Castille se partagent le monde par les traités d’Alcáçovas (1479) et de Tordesillas (1494). Introduisant la doctrine du mare clausum, ces deux traités défendent l’exploration et le commerce espagnols au sud du Sahara, en interdisant aux autres puissances toute ambition sur ces mers et territoires. Cette situation entraîne conflits, actes de piraterie et conquêtes.
Alors que les Portugais sont présents en Afrique, en Inde, en Asie de l’Est et au Brésil, le commerce des captifs africains attire le Portugal. Les Non-Européens, en particulier les Africains, sont considérés comme des païens et des sauvages. Ainsi, les Portugais tentent de tirer profit des populations qu’ils rencontrent au fur et à mesure qu’ils progressent dans le continent vers le Sud. Les décisions papales obtenues par les Portugais leur donnent alors une justification légale pour mettre en esclavage les Africains. Dans la bulle Dum Diversas de 1452, le pape Nicolas V donne au roi portugais D. Afonso V le droit de capturer les païens, de les mettre en esclavage et de s’emparer de leurs terres et de leurs biens. En 1455, la bulle Romanus Pontifex étend Dum Diversas, reconnaissant au Portugal des droits exclusifs dans son expansion africaine.
Comme la plupart des pays d’Europe du Sud, le Portugal n’est pas étranger à l’esclavage africain. La piraterie, les razzias et le troc le long de la Méditerranée sont des filières d’approvisionnement en esclaves, notamment musulmans. Dès le 14e siècle, des marchands génois entre autres explorent la côte atlantique du Maroc et des îles Canaries pour faire du commerce d’esclaves. Plus tard, au début du 15e siècle, ils vont plus loin en se rendant au Sahara dans le même but.
Le commerce des esclaves est également une pratique des sociétés africaines avant l’arrivée des Portugais sur le continent. Des systèmes locaux d’exploitation de main-d’œuvre ainsi que d’achat et de vente de personnes non libres existent déjà en Afrique. Néanmoins, le Portugal concurrence et renforce cette pratique avec la mise en place de la traite transatlantique, qui consiste à transporter de force des captifs africains de l’autre côté de l’océan Atlantique. Le Portugal tire profit des conditions socio-politiques et économiques en Afrique, notamment la fragmentation politique généralisée, pour développer ce commerce transatlantique. Ce nouveau commerce transforme les hommes, femmes et enfants africains en une marchandise internationale et établit progressivement un ordre racial entre les sociétés au niveau mondial.
Le commerce des esclaves est, avec celui de l’or, l’une des formes d’activité commerciale les plus lucratives outre-mer. Les équipages des caravelles portugaises mènent eux-mêmes des razzias esclavagistes sur les côtes africaines, attaquent les villages et ravagent les terres. Cette pratique est courante au cours des voyages organisés après 1430 par l’infant D. Henrique, considéré comme l’un des principaux acteurs de l’expansion portugaise. Les razzias d’esclaves obligent les navires portugais à naviguer toujours plus au sud, ce qui permet d’étendre les connaissances sur les côtes africaines.
Au fil du temps, le commerce des esclaves prend une tournure plus organisée, avec l’établissement de comptoirs portugais sur la côte atlantique de l’Afrique. Après 1445, le Portugal crée un comptoir permanent sur l’île d’Arguin, d’où il est possible d’acheter des captifs africains. Le Cap Vert est un autre de ces comptoirs. Il reçoit en 1466 le droit de commercer directement avec le territoire guinéen, dont les esclaves constituent un atout majeur pour le Portugal. Depuis le fort Saint-George-de-la-Mine (situé aujourd’hui à Elmina au Ghana), érigé en 1482, outre l’or, les Portugais pratiquent le commerce esclavagiste avec le royaume du Bénin. Sao Tomé- et-Principe devient, après avoir obtenu en 1486 le droit de commercer directement avec le Bénin, un autre poste actif de traite des esclaves pour le Portugal. En ce qui concerne la côte sud de l’Afrique, le Portugal établit, après 1513, une factorerie royale de traite à Mpinda, dans le royaume Kongo.
Depuis ces comptoirs, le Portugal domine les débuts du commerce transatlantique, pratiquant le commerce d’esclaves dans les royaumes du Sénégal, de la Gambie et du Rio Grande, dans le delta du Niger, au Bénin et au Kongo, entre autres. Bien que certaines communautés résistent à la traite, la participation des élites africaines à la fourniture de captifs aux Portugais est courante. Les principales sources d’approvisionnement en esclaves sont les enlèvements, les guerres, le djihad, la mise en gage, les condamnations judiciaires, etc. Les Portugais échangent de nombreuses marchandises contre des captifs, notamment de la nourriture, de l’alcool et des animaux (maïs, blé, sel, chevaux), des vêtements, des tissus (coton, soie) et des marchandises (cauris, entraves, argent, tapis, armes à feu).
Dans un premier temps, le Portugal utilise des esclaves africains pour approvisionner le marché européen en main-d’œuvre non libre. Ils sont importés d’Afrique à Madère et aux Açores pour répondre à la forte demande de main-d’œuvre et aux besoin d’exploitation rapide. Les îles étant inhabitées, le Portugal emploie des esclaves pour aider à la colonisation du Cap Vert et de Sao Tomé-et-Principe, façonnant ainsi le tissu social de ces deux territoires. En outre, les Portugais ont recours à la traite interafricaine. Ils achètent des captifs dans un territoire et les échangent dans un autre contre des marchandises plus rentables, telles que l’or.
Au début du 16e siècle, les initiatives visant à établir des colonies espagnoles et portugaises permanentes dans les Amériques accroissent la demande d’esclaves dans le Nouveau Monde. Dans les Amériques espagnoles, la population amérindienne décline après l’arrivée des conquérants à la fin du 15e siècle, rendant très difficile leur exploitation dans les plantations esclavagistes. D’autant plus que la couronne espagnole impose une contrainte supplémentaire en accordant une protection à cette population contre les mauvais traitements et l’esclavage. Au Brésil, alors que le Portugal tente d’établir une économie de plantation, les attaques contre les Amérindiens pour les asservir se révèlent inefficaces et insuffisantes pour fournir la main-d’œuvre nécessaire aux exploitations agricoles européennes. Avec l’introduction de la canne à sucre au Brésil et les tentatives visant à trouver des solutions pour produire du sucre, la traite esclavagiste vers ce territoire prend de l’ampleur.
Alors qu’il existe déjà des arrivées directes d’esclaves africains depuis la péninsule Ibérique, le premier voyage de traite d’Afrique vers les Amériques a lieu en 1525. 200 captifs sont transportés de Sao Tomé-et-Principe à Saint-Domingue, actuellement en Républicaine Dominicaine. D’autres voyages suivent vers Cuba, Porto Rico, la Jamaïque, la Nouvelle-Espagne (dans l’actuel Mexique), Carthagène (en Colombie), Nombre de Dios (dans l’actuel Mexique), le port de Portobelo (dans l’actuel Panama), pour n’en citer que quelques-uns, transportant des esclaves de Haute-Guinée, de Basse-Guinée et du Centre-Ouest de l’Afrique, notamment. Au début, les captifs arrivent généralement par le Cap Vert et Carthagène, où les navires espagnols s’arrêtent en route vers les Amériques. Des marchands britanniques, français, néerlandais, danois et suédois fournissent également des esclaves aux Amériques espagnoles, augmentant ainsi le volume et les bénéfices du trafic.
Au Brésil, les Africains et Africaines mis en esclavage commencent à être importés après 1530 et les voyages systématiques de traite prennent de l’ampleur à partir de 1560 pour répondre à la forte demande de main-d’œuvre sur le territoire. Parfois, les propriétaires des plantations prennent l’initiative d’importer directement des captifs d’Afrique, mais l’essentiel du trafic est entre les mains des marchands, portugais d’abord, puis, dans les siècles qui suivent, anglais, français, hollandais, danois ou suédois. Ces marchands approvisionnent le Brésil en main-d’œuvre africaine non libre dans le cadre d’un commerce entre les trois continents. Les marchandises européennes expédiées en Afrique servent à acheter des captifs mis en esclavage. Expédiés au Brésil, ces derniers sont ensuite vendus et les bénéfices utilisés pour acheter des produits destinés à l’Europe. La principale source d’approvisionnement en esclaves pour le Brésil est Sao Tomé-et-Principe et, surtout, l’Angola, où la ville de Luanda, fondée en 1575, devient de plus en plus prédominante dans la fourniture d’esclaves aux Amériques.
Avec l’essor de Luanda puis l’union des couronnes espagnole et portugaise de 1580 à 1640, la traite transatlantique prend une dimension nouvelle et élargie. Les plates-formes de traite contrôlées par les Portugais en Afrique, notamment Luanda, commencent à commercer directement avec les Amériques espagnoles. Parallèlement au commerce officiel, la contrebande généralisée d’esclaves, qui consiste pour les équipages à dissimuler les captifs, à les débarquer dans des ports secondaires et à effectuer des trajets non déclarés, contribue à accroître le volume et les répercussions de la traite transatlantique.
Dans les ports d’embarquement en Afrique, les captifs sont entassés et parqués sous le pont des navires. La traversée de l’Atlantique à bord des navires de traite, connue sous le nom de « Passage du milieu », se déroule dans des conditions inhumaines, les esclaves sont confrontés à la faim, aux maladies et aux châtiments, ce qui entraîne la mort d’une partie d’entre eux. Une fois arrivés à destination, privés de liberté, ils sont soumis à des systèmes d’exploitation et de répression mis en place pour protéger les intérêts des propriétaires. Les Africains mis en esclavage sont employés massivement dans la production de sucre, les mines, la construction, le secteur maritime, l’agriculture, l’élevage de bétail, le travail artisanal, le commerce de rue, le travail domestique, parmi d’autres activités.
Les Africains mis en esclavage ont joué un rôle social et économique important dans les Amériques, alors que leurs territoires d’origine en Afrique ont été profondément affectés par la traite transatlantique. Plus grande migration humaine forcée de toute l’histoire, la traite transatlantique a concerné, selon les estimations, 10 à 15 millions d’hommes, de femmes et d’enfants entre le 15e et le 19e siècle. Le Portugal a instauré les fondements de cette migration forcée en établissant, aux 15e et 16e siècles, des réseaux de traite dans l’ensemble de l’Atlantique. Ces réseaux ont connu d’autres développements dans le cadre de la traite massive des esclaves au cours des 18e et 19e siècles.
Programme radio A Nossa Terra with ngela Coutinho sur la traite esclavagiste. Peut être consulté en ligne: ICI
Programme télévisé Visita Guiada sur les esclaves africains au Portugal. Peut être consulté en ligne: ICI
Trois épisodes de l’émission radio Quinta Essência with Arlindo Manuel Caldeira sur la traite esclavagiste. Peut être consulté en ligne: Ep. 33, Ep. 34, Ep. 35
À propos de l’auteur
Aurora Almada e Santos est chercheuse à l’Institut d’histoire contemporaine de la Nouvelle Université de Lisbonne, une institution de premier plan dans l’étude de l’histoire contemporaine portugaise. Ses recherches portent principalement sur la décolonisation portugaise, plus précisément sur la dimension internationale de la lutte pour l’autodétermination et l’indépendance des colonies africaines portugaises. Ses activités de recherche actuelles comprennent la publication d’articles et de chapitres de livres, l’organisation de publications et de conférences, ainsi que l’enseignement de cours liés à l’histoire africaine.
Bibliographie
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Arlindo Caldeira Monteiro and Antonio Feros. “Black Africans in the Iberian Peninsula (1400-1820)” in The Iberian World. 1450-1820, ed. Fernando Bouza, Pedro Cardim and Antonio Feros. London: Routledge, 2019. Peut être consulté en ligne: ICI
Arlindo Manuel Caldeira. Escravos e Traficantes no Império Português: O Comércio Negreiro Português no Atlântico durante os Séculos XV a XIX. Lisboa: Esfera do Livro, 2013, p. 369.
Malyn Newitt. A History of Portuguese Overseas Expansion, 1400-1668. London and New York: Routledge, 2005.
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