6 Juin, 2023
Cette notice dépeint un jeune garçon né en Afrique, esclave dans la ville portuaire de Lancaster, dans le nord-ouest de l’Angleterre.
Retracer la vie des Africains mis en esclavage dans toutes les régions du monde est très difficile. Il l’est d’autant plus en Grande-Bretagne où il est particulièrement compliqué d’obtenir des informations sur les personnes mises en esclavage et employées comme domestiques, car les documents familiaux conservés éludent souvent leur présence. Les recherches menées à Lancaster ont révélé l’existence d’un jeune homme très intéressant, qui n’a même pas de nom dans les archives historiques et que nous appellerons donc Ebo Boy. L’avis de sa fuite, paru dans le St. James’s Chronicle de Londres, le Williamson’s Liverpool Advertiser and Mercantile Register et le Edinburgh Courant, prouve que son maître s’est efforcé de le retrouver dans des endroits situés au sud de Liverpool et de Londres, et au nord d’Édimbourg. L’annonce parue à Édimbourg en octobre montre qu’il n’a toujours pas été repris alors qu’il est en fuite depuis la fin du mois d’août :
« en FUITE de la maison du Révérend Mr Clarkson, Recteur de Heysham, près de Lancaster, tôt dans la matinée du lundi 26 août : un GARÇON NEGRE, originaire du Pays Ebo, svelte, d’environ 1,60 m (5 pieds 3 pouces) de haut, avec de beaux traits pour un noir, son âge 16 ans, son genou gauche se pliant vers l’intérieur, ce qui lui fait faire halte, une petite bosse sur le front, avec ses marques de pays sur les tempes ; portait, lors de la fugue, une veste bleue, un gilet de toile grise et une culotte de cuir ; il parle très bien le patois du Lancashire. Quiconque le ramènera à son maître à Heysham, ou au frère de son maître, M. William Clarkson, chirurgien à Drury Lane, Liverpool, ou à Peter Lennox à Perth, se verra bien récompensé, et tous les frais seront payés ; et quiconque l’hébergera sera passible de poursuites judiciaires d’une extrême sévérité ».
Son propriétaire, Thomas Clarkson, est le recteur de Heysham de 1756 à 1789 et le fait qu’il possède un esclave africain montre que la propriété des esclaves dans la région de Lancaster s’étend au-delà des intérêts pour les Antilles. En outre, son statut de prêtre de l’Église d’Angleterre ne l’empêche pas d’être propriétaire de son semblable. Ceci illustre la complicité de l’Église dans la traite transatlantique des esclaves, démontrée plus tard par les importantes indemnités que l’Église anglicane reçoit du gouvernement britannique dans les années 1830, après l’abolition, pour les esclaves qu’elle possédait, soit 5 % du total de 20 millions de livres sterling (l’équivalent de 17,6 milliards de livres sterling d’aujourd’hui). Cette annonce édifiante fait ressortir l’appartenance du jeune garçon à l’ethnie Igbo, un groupe de l’actuel Nigéria, et décrit les marques distinctives des scarifications suggérant qu’il est né en Afrique.
De telles scarifications sont un symbole de prestige dans la culture Igbo et le fait qu’Ebo Boy les porte suggère qu’il n’a pas été mis en esclavage avant d’avoir pris part à ce rituel important, soit au plus tôt à l’âge de six ans. Elevé en Afrique, on imagine le choc subi lorsqu’il est mis en esclavage et emmené aux Amériques, puis en Grande-Bretagne. La plupart des Africains mis en esclavage sont vendus aux Amériques, mais le destin d’Ebo Boy est différent puisqu’il est emmené en Grande-Bretagne pour y être employé comme domestique, avant d’être vendu à Clarkson. L’annonce concernant l’esclave en fuite le décrit comme ayant “de beaux traits pour un noir” et cette description raciste peut être un indice de la raison pour laquelle il est emmené en Grande-Bretagne ; son apparence lui vaut d’être considéré comme un domestique idéal qui rehausse le prestige de son maître. Le frère de Clarkson, William, est chirurgien à Liverpool. Sa profession, si impliquée dans la traite esclavagiste, lui a peut-être permis de fournir Ebo Boy à Thomas. Nous pouvons supposer que Thomas Clarkson a maltraité Ebo Boy, car sa boiterie et sa bosse sur son front trahissent peut-être des actes de violence de son maître, ce qui justifierait son désir de s’échapper.
En s’échappant dans ses vêtements de serviteur, il se distingue et peut être facilement repéré, mais à Londres ou en Écosse, ce qui peut le plus le trahir, c’est son patois du Lancashire. Ce détail souligne le temps considérable que le garçon a passé parmi les habitants du Lancashire et la façon dont il s’est adapté au point que son anglais est façonné, non pas par ses origines coloniales, mais par sa vie à Lancaster. Il y a peut-être peu de Noirs à Lancaster dans les années 1760, mais certains d’entre eux ont déjà un véritable ancrage local. Son accent du Lancashire fait d’Ebo Boy un personnage important pour la compréhension du développement des identités noires britanniques dès le milieu du 18e siècle. La découverte de vies aussi marquantes dans les archives permet l’émergence de nouveaux récits qui approfondissent notre compréhension de l’importance de l’esclavage et du rôle des Noirs dans la culture britannique provinciale. Ils montrent l’imbrication profonde des cultures des esclaves dans les foyers britanniques et les racines profondes de la culture noire britannique qui s’étendent jusqu’aux régions les plus éloignées du pays. Quant à Ebo Boy lui-même, ces annonces constituent la première et la dernière trace de son parcours remarquable : né en Afrique, embarqué dans la traite transatlantique des esclaves via les Amériques jusqu’à un petit village du Lancashire, sa courageuse tentative de liberté semble avoir été couronnée de succès au moins pendant deux mois et peut-être même toute une vie.
Revealing Histories – Remembering Slavery: ICI
The Equiano’s World website, a project website on Gustavus Vassa (Olaudah Equiano): ICI
Runaway Slaves in Britain: bondage, freedom and race in the eighteenth century: ICI
Centre for the Study of the Legacies of British Slavery: ICI
À propos de l’auteur
Alan Rice est professeur d’anglais et d’études américaines, directeur du Centre de recherche de l’UCLan sur la Migration, la Diaspora et l’Exil (MIDEX) et codirecteur de l’Institut de recherche sur l’Atlantique noir (IBAR) à l’Université du Central Lancashire, UCLan.
Bibliographie
Simon Newman, Freedom Seekers: Escaping from Slavery in Restoration London, London, University of London Press, 2022. Téléchargeable ici: ICI
Gretchen Gerzina, Black England, London, Hodder and Stoughton, 2022.
Alan Rice, Radical Narratives of the Black Atlantic, London, Continuum, 2003.
Alan Rice, Creating Memorials: Building Identities: The Politics of Memory in the Black Atlantic, Liverpool, University of Liverpool Press, 2010.
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