February 20, 2023
Simon Férelloc et Bernard Michon
L’arrivée du café en France, peu avant le milieu du 17e siècle, provoque l’émergence de nouveaux lieux proposant aux clients de consommer cette boisson exotique. L’un des plus anciens et célèbres d’entre eux est le Café Procope situé à Paris dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Ouvert en 1686, le Procope est fréquenté par de nombreux intellectuels jusqu’à sa fermeture en 1890. Il réouvre quelques années plus tard et est aujourd’hui un café restaurant traditionnel de Paris.
Probablement originaires d’Éthiopie, les plants de café primitifs sont emportés en Arabie, domestiqués et mis en culture vers le 12e siècle. Toutefois, ce n’est qu’au 15e siècle que l’archéologie permet d’attester la culture caféière dans la région littorale du Yémen, autour du port de Moka. Il semble que la diffusion de la consommation de l’infusion de graines de caféier grillées ait été assez rapide dans le monde musulman, notamment au sein des Empires perse et ottoman, favorisée par le pèlerinage à La Mecque.
S’agissant de l’Europe, des botanistes et des voyageurs allemands, italiens et hollandais rapportent du Moyen-Orient des informations sur cette nouvelle plante et le breuvage que l’on peut en tirer à la fin du 16e siècle, Venise étant alors en pointe dans ce secteur. Les Hollandais jouent ensuite un rôle majeur dans la transplantation du café vers d’autres lieux de production, d’abord en direction de l’Orient : en 1658, sa culture débute à Ceylan et, à la fin du siècle, sur l’île de Java en Indonésie. Ensuite, ils lui font traverser l’océan Atlantique pour l’introduire à Curaçao et au Surinam en 1718. L’acclimatation du café dans les colonies françaises intervient dès 1715-1717 pour l’île Bourbon (actuelle île de La Réunion) et au milieu des années 1720 pour les petites Antilles, grâce peut-être à Gabriel de Clieu, qui pourrait avoir permis l’arrivée d’un plan de café à la Martinique, avant de favoriser sa culture à la Guadeloupe, dont il est gouverneur entre 1737 et 1753.
Cette mondialisation de la culture du café provoque une hausse spectaculaire de sa production, en particulier dans la colonie française de Saint-Domingue qui représente à elle-seule plus de 60 % des volumes importés en Europe à la fin du 18e siècle. La croissance de la production permet celle de la consommation de la « liqueur qui chasse le sommeil ». Il s’agit de l’une des caractéristiques des évolutions des goûts alimentaires des populations à l’époque moderne et de leur appétence toujours plus forte pour les produits exotiques. Le corolaire est le recours massif à la traite et l’esclavage colonial pour assurer la hausse de la production.
La préparation des boissons exotiques, café en tête, nécessite des savoirs et des savoir-faire qui imposent initialement le recours à des « spécialistes », limonadiers et bientôt cafetiers. L’itinéraire du Sicilien Francesco Procopio dei Coltelli (1651-1716) est emblématique de l’émergence de cette nouvelle profession : installé d’abord à la foire Saint-Germain à Paris, il apparaît en 1676 parmi les membres de la communauté des « distillateurs-limonadiers », puis s’établit rue de Tournon, avant de se transporter rue des Fossés-Saint-Germain et d’y fonder le café Procope, établissement dont le succès s’explique en partie par l’installation à proximité quelques mois plus tard du théâtre de la Comédie-Française.
Le nombre de débits de café – inspirés des coffee houses apparus à Londres au milieu du 17e siècle – se multiplie dans la capitale française : on en compte 380 en 1720 et plus de 600 à la fin du siècle, alors que la population de la ville passe dans le même temps de 510 000 à 660 000 habitants. Le café renvoie, selon Yves Jubinville, à une « double référence culturelle » : « Être au café signifiait voyager entre culture populaire et culture d’élite, entre l’oral et l’écrit, bref c’était vivre à cheval entre deux mondes, deux modèles d’être et d’action. » De fait, la multiplication de ces lieux contribue à la croissance de la consommation du café – même si la boisson exotique était loin d’être la seule à y être consommée – et à l’élargissement de la base sociale des consommateurs, des élites vers les milieux populaires.
Le Procope devient au 18e siècle un lieu fréquenté par les philosophes et les intellectuels des Lumières. Montesquieu, Voltaire et Rousseau y ont leurs habitudes. Diderot et d’Alembert y auraient rédigé plusieurs articles de L’Encyclopédie et le « père fondateur » des États-Unis Benjamin Franklin y aurait préparé une partie de la Constitution américaine. Pendant la Révolution, les députés et les journalistes remplacent les philosophes et le Procope devient une caisse de résonance des idées révolutionnaires. Le café est d’abord investi par les révolutionnaires du Club des Cordeliers : Danton, Marat et Desmoulins notamment. Les membres du Club des Jacobins, frères ennemis des Cordeliers, prennent eux aussi leurs habitudes dans ce lieu. Un portrait de Robespierre notamment y figure encore. Au siècle suivant, le Procope demeure une véritable institution parisienne en accueillant des grands noms de la poésie et de la littérature française : George Sand, Paul Verlaine mais aussi Honoré de Balzac et Victor Hugo. La réputation de l’établissement ne suffit pourtant pas à lui éviter la faillite et il ferme ses portes en 1890. Il rouvre après-guerre et devient par la suite un restaurant dont la forme diffère nettement du Procope qu’ont connu les penseurs et artistes des 18e et 19e siècles. Ce rôle central des cafés dans la vie intellectuelle a d’ailleurs laissé une trace dans la langue française avec l’expression « donner du grain à moudre » qui signifie « donner matière à réfléchir ».
🔶 Jean Leclant, « Le café et les cafés à Paris (1644-1693) », Annales. Économies, sociétés, civilisations, 6e année, n° 1, 1951, p. 1-14. Consultable en ligne : https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1951_num_6_1_1900
🔶 Bödeker Hans Erich. Le café allemand au XVIIIe siècle : une forme de sociabilité éclairée. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 37 N°4, Octobre-décembre 1990. pp. 571-588. Consultable en ligne : www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1990_num_37_4_1564
🔶 Newspapers, gossip and coffee-house culture, Matthew White, British Library, 2018. Consultable en ligne : https://www.bl.uk/restoration-18th-century-literature/articles/newspapers-gossip-and-coffee-house-culture
À propos de l’auteur
Simon Férelloc est étudiant en Master Recherche en Histoire à Nantes Université. Il mène actuellement des recherches sur les conséquences des politiques coloniales françaises et des mouvements révolutionnaires aux Antilles.
Bernard Michon est maître de conférences en histoire moderne à Nantes Université et membre du Centre de recherche en histoire internationale et atlantique (CRHIA-UR 1163). Ses travaux portent sur l’histoire des ports de commerce français et européens aux 17e et 18e siècles. Il s’intéresse également à l’histoire de la traite atlantique. Ses recherches récentes le conduisent à étudier l’histoire du café, de sa production à sa consommation.
Bibliographie
Rose-Marie Herda-Mousseaux (dir.), Thé, café ou chocolat ? Les boissons exotiques à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Paris Musées/Flammarion, 2015, 144 p.
Alain Huetz de Lemps, « Boissons coloniales et essor du sucre », dans Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 2009, p. 629-641.
Yves Jubinville, « Théâtre et cafés à Paris », Dix-huitième siècle, n° 28, 1996, p. 415-430.
Frédéric Mauro, Histoire du café, Paris, Desjonquères, coll. « Outremer », 2002 [1991], 252 p.
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